Sur les routes de Madagascar
Malgré mes efforts pour décrire les paysages que nous traversons, les cultures que nous découvrons selon la région, les lieux que nous visitons, il me semble que je n’arrive jamais véritablement à transmettre l’ambiance de Madagascar. Alors je vais une fois encore essayer de dépeindre de façon générale la vie, les couleurs, le rythme nonchalant qui règne en pays Merina, Sakalava ou encore Betsileo que nous avons traversés jusqu’ici.
On circule sur des routes goudronnées, les routes nationales, pleines de trous et irrégulières, puis tout à coup, sans aucune raison, le goudron cède la place à des cailloux ou de la terre. Manque de moyens, mauvaise qualité des matériaux, manque d’entretien, les voies de circulation qui sont essentielles au développement d’un pays ne semblent pas être une priorité du gouvernement malgache. Parfois on doit prendre la piste, selon que l’on est sur la côte ou dans les terres, le chemin est fait de sable, de cailloux, ou de terre qui se transforme en gadoue à la saison des pluies, isolant ainsi certaines villes ou villages pendant des mois.
Sur les hauts plateaux, les champs de rizières et les cultures de fruits et légumes dominent. La région d’Antsirabe est le grenier de Madagascar. De Nosy Be jusqu’au triangle vert de la SAVA, les immenses forêts de feuillus, les arbres à fruits, le café, la vanille, le cacao. La région de Diego Suarez, balayée 8 mois par an par le Zaravatra est sèche. Où que l’on soit entre Tana, Mahajanga, Nosy Be et Diego Suarez, on aperçoit au loin les montagnes qui traversent Madagascar. Sur la côte du canal du Mozambique, entre Morondava et Tuléar, de rares rizières, des salines, des dunes de sable et d’immenses étendues arides où ne poussent que des épineux et des baobabs. Le ciel s’assombrit rarement, et lorsque le soleil se couche, c’est dans un lit de couleurs rose, orange, jaune doré.
On traverse parfois de petites villes, aucune n’est aussi grande et embouteillée que Tana. Mais le plus souvent, il s’agit de villages, un groupement de simples petites maisons de torchis, de bambou ou encore de bois le long de la route. Parfois, nous passons devant des maisonnettes isolées, loin de tout.
Le matin, les femmes, fines et fragiles silhouettes enveloppées dans leur paréo coloré, portent avec grâce et semble-t-il une grande facilité, leur panier de fruits et légumes sur la tête pour se rendre au marché.
Les hommes, en short et T-shirt, un lamba coloré sur l’épaule, une hache, une machette ou une bêche à la main, vont travailler dans les champs.
Les enfants, le plus souvent vêtus de haillons, et d’une longue chemise de couleur qui tient lieu d’uniforme, marchent à plusieurs en tenant par la main les petits frères et sœurs le long des routes pour aller à l’école.
À n’importe quelle heure de la journée, on voit des personnes assises ou couchées à même le sol ou sur des nattes près de leurs petites maisons, en train de somnoler ou de discuter. Des femmes qui font la lessive dans des bassines, pilent le manioc ou nettoient le riz. Certaines s’épouillent la tête entre elles et tressent leurs cheveux.
Aucune précipitation, aucun stress, aucune énervement, tout le monde va d’un pas tranquille, le sourire et le Salame (Bonjour) faciles. La majorité des gens exercent une activité agricole, de pêche ou d’élevage, il faut économiser son énergie sous un soleil parfois accablant en été.
Même au milieu de nulle part, on croise toujours une personne qui se rend à pied d’un village à l’autre, car posséder une voiture reste une exception à Madagascar. Quelques mobylettes pour les voyageurs solitaires, de jeunes hommes en général, sinon c’est le taxi-brousse pour les distances plus longues. Et des vélos, on voit beaucoup de bicylettes sur les pistes et les routes – monsieur pédale tandis que madame est assise sur le guidon ou sur le porte-bagages; parfois, les enfants sont pris en sandwich entre les deux. Dans les endroits plus reculés et sans route goudronnée comme c’est le cas sur la piste le long de la côte entre Morondava et Tuléar, les familles Sakalava se déplacent en charrette tirée par des zébus.
Une fois la nuit tombée, aux environs de 17 h 30 ou 18 h, les villages sont plongés dans l’obscurité. Parfois, un petit panneau solaire permet d’alimenter un faible éclairage mais c’est rare. Les gens n’hésitent pas à marcher sur les bords de route pour aller les uns chez les autres, ils se regroupent et discutent dans le noir, à côté de leurs petites maison ou en bordure route, tandis que les enfants jouent. Du coup, loin de la pollution de l’éclairage électrique des villes, le ciel est toujours illuminé par la lune et les étoiles ici.
Il faut toujours être vigilant lorsque l’on conduit sur les routes de Madagascar. À tout moment, une personne peut apparaître dans un virage, un enfant peut sortir du buisson, sans parler des zébus, des chèvres qui circulent seuls ou en troupeaux, librement ou accompagnés sur les routes, des canards, des poules, oies ou autres volatiles qui se jettent sous vos roues dans une tentative d’envol ou qui se baignent dans les mares boueuses qui apparaissent après la pluie. Et puis, il y a les chiens, semi-sauvages, car livrés à eux-mêmes, trop nombreux et trop fragiles sur les bords de route.
La vie est partout, la mort aussi parfois.