Qui sont les Malagasy ? Comment sont –ils, physiquement, de caractère ? De quoi vivent-ils ? La question est évidemment bien vaste, et je n’y aurai certainement pas répondu au bout de plusieurs années. Pour le moment, je suis à Tana, et l’habitant de la capitale, le Merina, correspondant à l’ethnie des hauts plateaux, est le seul spécimen malgache avec lequel j’ai interagi jusqu’à maintenant. Composée de six provinces et de 22 régions, il y a autant d’ethnies et de dialectes, de traditions, de savoir-faire et de spécialités, c’est dire la richesse et la variété culturelle de ce pays.

Tout d’abord, à quoi ressemble un Malgache ? Je n’avais pas trop d’idée avant d’en rencontrer un, et six ans plus tard, ce n’est pas plus évident car ces gens puisent leurs origines dans tous les pays qui entourent leur île. Lorsque l’on regarde les Malgaches, on reconnaît de l’Africain, de l’Indien, de l’Asiatique, de l’Indonésien, voire de l’Européen dans les traits du visage : des nez au bout rond et à la base épatée, des lèvres épaisses et charnues, des yeux bridés ou ronds, des pommettes saillantes, des cheveux noirs et épais, une peau légèrement hâlée, couleur caramel ou carrément chocolat. Les gens sont en général petits et fins, mais très robustes. Et il faut l’être, car la vie est dure ici. Les Malgaches sont majoritairement des agriculteurs, des pêcheurs ou des éleveurs selon la région, des artisans, des vendeurs, selon qu’ils vivent à la campagne ou à la ville. Il y a également un grand nombre de fonctionnaires travaillant pour les services gouvernementaux, une administration lourde et souvent inefficace, et une nuée de gens qui se consacrent au service des plus riches, employés de maison, gardiens, cuisiniers, bonnes d’enfants.

De caractère, ils sont très courageux car ils travaillent très durs. Pas de sécurité sociale ici, pas de chômage, pas de congé maladie, ni de congé tout court d’ailleurs, pas de retraite, pas de droits du travail pour limiter les horaires, un salaire minimum à 10 000 AR la journée pour les employés, (et encore à la discrétion du patron) pour la quasi-totalité de la population, les gens qui ont un statut de travailleur autonome en fait. Par contre, les fonctionnaires et les employés de grosses entreprises étrangères ou de banques par exemple ont de meilleures conditions à tout égard. On a donc une société à deux vitesses, une très pauvre, qui survit, et qui représente une écrasante majorité, l’autre qui mène une vie plus à l’occidentale, oscillant entre vie confortable et richesse, une minuscule minorité. Les conditions de vie sont dures par manque de tout, services, infrastructures, compétences. L’accès à l’eau, et surtout à l’eau potable, est un problème majeur à Madagascar, et la capitale n’échappe pas à cette pénurie dont la cause est moins le changement climatique qu’une très mauvaise gestion et redistribution des ressources, ainsi qu’un manque criant d’infrastructures. Il est assez ironique d’ailleurs de constater que même dans les maisons cossues des plus riches, qui ont de belles salles de bain modernes, il n’y a pas toujours d’eau courante, de nombreux habitants font creuser un puits dans leur cours s’ils en ont une en espérant y trouver de l’eau pour pallier les coupures. Les plus pauvres en sont réduits à aller chercher de l’eau aux fontaines publiques lorsque le mot passe que l’alimentation est revenue, pour remplir leurs bidons jaunes de 20 litres afin de les ramener parfois très loin chez eux, à pieds bien sûr, que ce soit la femme enceinte, le petit garçon de 8 ans ou la vieille dame de 80 ans. Ceux qui vivent proche des cours d’eau qui traversent la ville utilisent l’eau pour tous leurs besoins quotidiens, la cuisine, la toilette, la lessive, et au final, les cours d’eau sont d’immenses dépotoirs, car s’il y a bien une notion que le Malgache n’a absolument pas, c’est le souci de l’environnement, de préserver la nature et au final, son espace de vie. Il est vrai aussi que puisque la ville, donc l’Etat, ne développe pas le service de ramassage et de traitement des ordures, il est bien difficile pour la population de vivre dans une ville propre et de faire des efforts pour la garder comme telle. Tana est donc un dépotoir à ciel ouvert, avec des collines d’immondices un peu partout, de rares bennes ouvertes qui débordent constamment, des cours d’eau bouchés d’ordures.

J’ai mentionné plus haut que le salaire minimum d’un travailleur malgache est de 10 000 Ariary par jour, en théorie évidemment, mais ça représente quoi au final ? C’est trois croissants, ou trois baguettes, ou 2 paquets de farine de 1 kg, c’est environ 12 yaourts ou 15 œufs, ça ne permet pas d’acheter un fromage, ni un paquet de céréales, encore moins un poulet… Que peut-on acheter alors pour se nourrir ? On peut acheter 5 kg de riz par exemple, dépendamment de la qualité du riz, il s’agit de l’aliment de base de la population, il est cultivé partout sur l’île, il tient au ventre et reste ce qu’il y a de moins cher. On le consomme matin, midi et soir, sec ou mou, c’est-à-dire trempé dans du bouillon pour le petit-déjeuner et le dîner de préférence. Les gens peuvent l’agrémenter de légumes, généralement ce qu’ils appellent des brèdes – des légumes feuillus ; ils ajoutent rarement de la viande, trop chère, mais quand c’est possible, alors le « riz amin’ny anana » est accompagné de saucisses de porc « kisoa ». Le riz est aux malgaches ce que le pain est aux Français. Ils considèrent cet aliment comme essentiel pour passer au travers de leur journée et effectuer les travaux quotidiens. Pas de machine ici pour soulager l’humain des travaux les plus pénibles, le travail manuel est encore largement répandu. Les gens travaillent dans les champs avec l’aide de la charrue et des bœufs, et tout le travail est fait à la main. Pour la culture du riz, ils pataugent toute la journée dans l’eau jusqu’au mollet pour repiquer les plans de riz, un par un. Dans les deux grands lacs de Tana, on voit des gens immergés dans l’eau jusqu’à la poitrine qui ramassent des tiges hautes pour en faire des ballots, mais je n’ai pas encore pu savoir de quoi il s’agit. Les plus pauvres transportent leurs affaires sur une charrette souvent tirée à bout de bras, chargée de sacs de riz, de fruits ou de légumes pour la vente. Pour ce faire, ils sont souvent deux ou trois, un homme tire la charrette en courant et les deux autres la poussent. Rien n’est aisé, ni de circuler entre les voitures et les scooters sur la route, ni les pentes ni les montées alors que la charrette peut atteindre les 500 à 800 kg…

Ici, tout se vend, tout s’achète et tout se répare. Les Malgaches sont les rois du système D ; quand on n’a rien, il faut être imaginatif et savoir bricoler. Souvent, les échoppes sont toutes petites, les portes sont ouvertes et les gens exposent leur production sur le trottoir, quand ils ne travaillent pas accroupis parterre. On peut donc voir qu’ils réparent tout, rien ne se perd, tout est transformable et potentiellement utile à quelqu’un : la cafetière, la casserole, le carburateur, le vélo, les chaussures, les sacs. Ils font également de leurs propres mains de nombreux articles nécessaires dans une maison : les paniers en raphia ou en sisal, les tapis, les moustiquaires, le linge de maison, les meubles en bois (palissandre souvent, ou bois de rose bien que cela soit interdit d’exploitation tant ces espèces sont en danger de disparition), les sacs à main, les sets de table, des boucles d’oreilles, etc. Ils ont un incroyable talent pour faire de très jolis objets avec rien d’autres que leurs mains, et des outils manuels de base, lesquels sont souvent rafistolés. Certains articles peuvent parfois manquer de finitions, par manque de moyens, de possibilité d’acheter des matériaux plus fins, également parce que tous ces artisans n’ont jamais vécu qu’avec des produits de base, fonctionnels, solides, qu’ils usent jusqu’à ne plus pouvoir rien en faire, ils n’ont pas l’idée du superflu, de la finition pour doubler un sac à main d’un tissu intérieur par exemple ou encore de jolies ferronneries décoratives pour attacher les différentes parties d’un meuble. Ce sont de formidables artisans, et leur travail n’est pas assez mis en valeur et reconnu à mon avis.

La misère de ce pays n’empêche nullement la société de consommation polluante et superficielle d’y faire son trou. Une multitude de vendeurs assaillent les voitures prises dans les embouteillages ou les piétons qui leur semblent riches, donc à fortiori, les blancs pour vendre toutes sortes d’articles que l’on irait normalement acheter dans un magasin ou dans un marché.  Ils vous abordent les bras chargés de torchons, d’entonnoirs en plastiques, de lunettes de soleil, de montres,  de chargeurs pour téléphone, et les fameux masques puisqu’il faut aussi tirer bénéfice de l’hystérie actuelle, ils vous suivent sur des centaines de mètres comme des mouches, espérant vous faire céder rien que pour se débarrasser d’eux. Lorsque vous en repoussez un, un autre se présente comme si vous alliez accepter d’acheter au deuxième ce que vous n’avez pas pris au premier. La grande majorité de la population malgache n’a aucunement les moyens d’acheter ce genre d’articles, pourtant ces camelots sont légions. D’autres envahissent les trottoirs, ils sont vendeurs de fruits et légumes ou encore vendeurs de vêtements. C’est bien simple, Il n’existe pas un trottoir sans vendeur à Tana, si bien que je me demande comment ils font tous pour vivre, car il faut bien produire des biens, et des services dans une société pour l’équilibre de son économie. L’offre semble plus grande que la demande par impossibilité pour la grande majorité des Malgaches, d’acheter ces biens. Elle est de mauvaise qualité et ne peut donc intéresser les gens qui ont les moyens. Elle est également inégale, trop de gadgets sans intérêts et pas assez d’articles correspondant à un véritable besoin.

Enfin, pour terminer sur cette description très sommaire du Malgache selon mes premières impressions, je dirais que de prime abord, la gentillesse et la tranquillité semblent les caractériser. Les Malgaches sourient et disent bonjour facilement à tout venant dans la rue. Ils ont un abord bienveillant. On dirait que rien ne les stresse, ni ne les inquiète, ce sont des gens simples qui n’ont pas accès aux trépidations de la vie moderne, ils vivent donc paisiblement au rythme du lever et du coucher du soleil, ils travaillent de leurs mains et ne se reposent que le dimanche, jour du Seigneur, la foi faisant partie intégrante de la vie des Malgaches. Les loisirs sont rares, le temps libre est consacré aux visites de famille, laquelle occupe une place centrale. Les familles sont très grandes, et le cercle élargi peut atteindre quelques centaines de personnes. Les gens ont beaucoup d’enfants, même dans la nouvelle génération, et tout le monde semble pouvoir se réclamer d’être le cousin par alliance de quelqu’un. Ces liens très étendus et très importants pour les Malgaches permettent aux plus pauvres de faire jouer la carte des liens familiaux en cas de difficulté, même très étirés, laquelle n’est absolument pas remise en question. Les plus riches ne voudraient pas non-plus paraître égoïstes et sembler oublier leur famille moins bien lotie. Les gens compensent donc l’inexistence de services étatiques envers la population par une conception de la famille qui passe par une obligation morale, chrétienne d’entraide et de solidarité. Cela n’empêche nullement de nombreuses personnes d’être à la rue et de mendier, principalement des femmes jeunes avec des enfants ou vieilles, ou encore des personnes handicapées. Les Malgaches parlent peu, et n’expriment pas leurs émotions, ils ne débattent pas, n’aiment pas discuter, argumenter, opposer des opinions, tout ce qui n’est pas consensuel est laissé de côté, donnant ainsi une apparence d’harmonie et de bonne entente. Il ne faut pas être naïf bien sûr, critiques, envie, jalousie, mépris, rancœur existent tout autant dans le cœur d’un malgache que chez les autres, comme les agressions, le vol et le crime sont très présents au sein de la société, mais tout cela reste caché derrière une façade de tranquillité.

Cette caractéristique culturelle explique peut-être leur résilience face à un état défaillant au mieux, au pire abusif, engendrant une société où les inégalités sont extrêmement violentes et se côtoient pourtant sans le moindre sentiment d’injustice et de révolte des plus pauvres, en apparence en tout cas. Ce thème fera l’objet d’un autre article.

Comments

  1. Merci pour ce blog très bien rédigé !

    1. Merci beaucoup Blandine. Madagascar reste méconnue, et puisque Rado et moi nous lançons dans une nouvelle vie, nous nous sommes dits que ce serait une bonne idée de faire partager notre expérience à nos proches, mais aussi à toute personne intéressée à lire nos aventures pour découvrir l’île puis pour nous installer. Cela ne reste bien sûr qu’une perception d’une certaine réalité à un moment donné mais très authentique.

  2. Bidon jaune de 20l et non 5l

    1. Oups! Coquille, oui c’est vrai que les bidons font 20L. Je vais corriger. Merci.

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