Le moramora des côtiers
Loin du tumulte de la vie moderne, du bruit, de la technologie, de la société de consommation, des notions de performance et de rendement coûte que coûte, la vie semble très simple et comme figée dans le passé sur l’ile paradisiaque de Nosy Be. Mais est-ce si mora-mora que cela en a l’air?
Ici, nous sommes toujours en territoire sakalava, et les gens habitent de petites cabanes d’une ou deux pièces au grand maximum, légèrement surélevées, faites de bois et de feuilles de ravinala ou de paille, à la toiture pentue, et comprenant une petite terrasse pour se relaxer. La cuisine se fait toujours sur un feu de charbon ou de bois, à l’extérieur de la maison. Pas de salle de bain ici, pas de toilettes, pas de tout à l’égout évidemment, tout se faire dehors, la notion d’hygiène est alors toute relative, dépendamment des personnes. Les ordures sont enterrées dans le sol, à défaut d’autre solution. Je remarque que globalement, les maisons sont en meilleur état, mieux faites ou mieux entretenues qu’a Mahajanga même ou sur la route que nous avons prise. Les habitations bordent la route en général, et sont entourées d’arbres, fournissant une ombre et une fraicheur essentielles. Tout autour, les poules, les oies, les chiens et les chats vivent leur vie. Tout ce petit monde s’asseoit, joue, se lave, mange et défèque dans le même espace.
La vie s’écoule à un autre rythme, en harmonie avec le cycle naturel. La population n’a pas accès à l’électricité pour la plupart, les gens se lèvent avec le soleil, au chant du coq et arrêtent leurs activités à la nuit, laquelle tombe très tôt, à 17 h 30. Malgré une brise qui souffle régulièrement, il fait très chaud, entre 23 et 29 degrés durant la saison sèche, de fin avril à fin octobre, ainsi que durant la saison des pluies qui s’intensifie à partir de décembre, créant une chaleur humide très inconfortable. Aussi, il faut mesurer l’énergie que l’on dépense, et il ne se passe pas grand-chose en après-midi. Chacun travaille comme il lui convient, pas de patron, pas d’obligation, pas d’engagement, pas d’attente. C’est une vie de paysan/petit vendeur que mène le Malagasy Sakalava des côtes, sans intention autre que de manger aujourd’hui…et demain, on verra.
Le travail est distribué selon le sexe et l’âge. Les femmes, toujours belles avec leur grand lamba de couleur noué autour de la poitrine ou de la taille, et leur masque fait a partir d’écorce de Masonjoany (Santal de Madagascar) pour protéger leur peau du soleil en même temps que l’éclaircir, s’occupent des enfants en bas âge et effectuent les corvées ménagères. Beaucoup d’entre elles tiennent également un petit étale pour vendre des produits faits maison tels que les beignets de banane ou de sucre, ou encore quelques légumes ou fruits produits sur leur terrain. Ce sont elles qui travaillent le plus. Certaines tiennent une petite épicerie dans une cabane où l’on trouve surtout des biscuits, de l’huile, du savon, des boîtes de sardine parfois, du riz et des haricots. Comme nous sommes sur les côtes, on peut aussi trouver du poisson. Soit qu’un vendeur passe dans la rue et vous montre cinq ou six poissons attachés ensemble et gardés au frais dans un seau d’eau, soit que les poissons sont exposés sur une table et les vendeuses les aspergent régulièrement d’eau pour garder la fraîcheur …on va dire! Les hommes travaillent dans les champs de riz, ou tiennent de petits commerces tels que la cordonnerie, le lavage auto, la réparation de véhicules, ou encre conduisent les petits taxis tuk-tuks jaunes à trois roues. Les enfants vont à l’école en journée, ceux qui en ont la possibilité en tout cas, mais beaucoup restent également dans les villages. Les filles aident leur mère à prendre soin des plus petits ainsi qu’au commerce, tandis que les garçons s’occupent des zébus ou des chèvres. Tout ce petit monde va majoritairement pieds nus et en guenilles, des vêtements d’occasion sales, déchirés, trop grands car mille fois portés par les aînés …
À la fraicheur de la nuit, la vie s’anime et les gens sortent beaucoup plus qu’en journée. Ils se retrouvent dans les gargotes, ou tout simplement les uns chez les autres, à la lumière d’une lampe solaire ou d’une lampe torche. Les adultes s’assoient volontiers sur le bord de la route pour discuter, tandis que les enfants jouent. Il est vraiment très délicat de circuler en voiture après la tombée de la nuit, car il faut faire attention aux promeneurs du soir sur la route, qui eux, semblent n’avoir aucune conscience du danger.
Et la vie s’écoule ainsi, on pourrait presque penser que c’est idyllique. Et c’est loin d’être le cas, les gens vivent de peu, mais de trop peu, mal nourris, mal habillés, mal soignés, mal éduqués, voire pas du tout. La modernité n’est cependant pas absente de leur vie car ils ont des téléphones cellulaires, certains ont même la télévision, et le plastique a envahi leur quotidien. Est-ce bien utile tout cela? Surtout considérant les manques pour satisfaire aux besoins primaires? Est-ce qu’ils s’en plaignent? Oui. Mais que font-ils pour changer cette situation? Rien. Il est certain que les infrastructures de base telles que les voies de circulation, l’accès à l’eau et à l’électricité, devraient être prises en charge par le gouvernement, lequel, corrompu et défaillant, n’en fait rien. Pourtant, cela suffit-il à tout expliquer? Nosy Be est principalement composée de petits villages, dont le fonctionnement est encore axé sur la vie en communauté, avec un chef de village, et un rassemblement hebdomadaire à l’église. Certainement que des discussions pour améliorer la vie de la population pourraient avoir lieu dans ce cadre, et des décisions concrètes pourraient être prises avec la participation et l’effort de tous. Il n’en est rien. Les Sakalava passent une grande partie de leur vie assis, à discuter, à attendre les rares clients de préférence vazaha car synonymes d’argent dans leur esprit, et à se relaxer. La plupart des gens n’ont pas d’argent ici, et sont donc dans l’incapacité de subvenir à tous leurs besoins. Tout le monde se veut vendeur des maigres fruits ou légumes de son potager, de ses beignets faits maison, mais qui a le pouvoir d’achat si personne n’exerce une autre activité? Le manque d’éducation et d’argent n’explique pas tout. Les côtiers sont considérés comme des fainéants par les Merina, les gens de la capitale, plus entreprenants et travailleurs. Je penche dans ce sens également. Bien sûr, partout, on va trouver des gens avec de l’initiative, de la réflexion, mais ils ne sont pas la majorité chez les côtiers de Nosy Be.
Ici, nonchalance rime avec inconscience, détente fleurte avec paresse, et acceptation est synonyme de passivité. Il est évident que ce ne sera pas notre définition de l’esprit moramora, et que nous chercherons les Malagasy qui travaillent à se construire un avenir à Madagascar, et il y en a.