Le melting pot majungais
La région du Boeny où nous nous trouvons actuellement est celle de l’ethnie Sakalava, je constate qu’ici la population est clairement typée africaine, les gens sont noirs avec des traits fins, ils sont dans l’ensemble plus grands et musclés que les Mérinas de Tana. Les gens sont habillés à l’européenne, mais l’on peut voir aussi de nombreuses femmes qui portent en robe ou en jupe des paréos, comme je l’avais déjà observé en passant dans les villages sur la route allant de Tana à Mahajanga. Hardy, notre guide a travers Mahajanga pour une matinée, nous explique que toutes les autres ethnies sont également présentes dans cette partie de Madagascar mais je ne les reconnais pas pour le moment. Mahajanga est donc un melting-pot des différentes ethnies de l’île. Il faut y ajouter les Indiens, appelés aussi Karanes, les Chinois appelés Sinoas et enfin les blancs, toutes nationalités confondues, appelés les Vazahas. Après, parmi les Vazahas, il faut distinguer les Zanatany, c’est-a-dire des blancs installés ici depuis plusieurs générations, descendants de colons. Ces catégories se retrouvent évidement partout sur l’île de Madagascar, certaines villes sont simplement plus marquées par ce cosmopolitisme que d’autres. Comme je l’ai déjà dit, Mahajanga se trouve sur le canal du Mozambique, proche donc de l’Afrique et des îles de l’océan indien, étant pourvue d’écoles et d’universités, semble-t-il particulièrement reconnues pour leur enseignement en médecine et dentisterie, Mahajanga attire donc des étudiants du continent africain, et notamment les jeunes venus des Comores et de la Réunion qui choisissent de venir ici poursuivre leurs études dans les universités locales. Ainsi, le profil démographique de la ville est majoritairement jeune et diversifié, ce qui devrait représenter un atout de développement formidable mais là, toute cette jeunesse avec peu de perspectives d’avenir, c’est un autre sujet bien complexe qui concerne toute l’île en réalité.
D’un point de vue religieux, les chrétiens, les adventistes, les hindous et les musulmans sont présents et Hardy nous dit que les trois communautés vivent en parfaite harmonie. Il souligne cependant que les adventistes trouvent le prosélytisme chrétien trop insistant, ce qui crée occasionnellement une certaine animosité. Les Musulmans sont si bien implantés que plusieurs mosquées sont érigées dans la ville et l’on peut même entendre l’appel à la prière depuis notre petit hôtel à Amborovy. Notre voisine, une femme amoureuse du pays qui y séjourne plusieurs mois par an et se mêle à la communauté malagasy en faisant des activités artisanales, nous explique que les Musulmans ont crée des écoles coraniques et ont proposé aux pêcheurs locaux, qui ne peuvent pas envoyer leurs enfants à l’école par manque de moyen, de les prendre dans leurs écoles sans frais. Cependant, cette généreuse offre en apparence avait un revers de la médaille, progressivement, année après année, afin de conserver l’inscription gratuite, les enfants recevaient un enseignement coranique de cinq heures par jour, laissant ainsi peu de place aux matières générales de base, avec un chantage à la conversion pour eux, puis les parents. La foi chrétienne étant très ancrée dans la population malgache, après un engouement certain pour la perspective de pouvoir faire instruire leurs enfants gratuitement, les gens ont fini par se détourner des écoles musulmanes. La présence des musulmans ne me paraît pas flagrante, j’ai bien croisé quelques femmes voilées au marché mais sans plus. À la fois, nous sommes en période de ramadan au moment de notre séjour, ceci explique peut-être aussi cela.
En circulant dans Mahajanga, la première chose qui me frappe, c’est la quasi absence de mendiants, il semble qu’ils se concentrent tous à Tana! De plus, en observant les gens, je trouve qu’ils présentent globalement bien avec des vêtements propres et en bon état, je me dis que le niveau de vie semble très correct ici, comparé à la capitale évidement. Lorsque je demande à Hardy le revenu par habitant, il me donne la réponse globale pour tout le pays, à savoir 1euro par jour, alors ce n’est qu’une impression, mais il me semble que les habitants de Mahajanga ont de meilleures conditions de vie que ceux de Tana. Ce qui est certain en tout cas, c’est que le coût de la vie est plus élevé, les denrées alimentaires coutent plus chères qu’à la capitale, car au lieu d’arriver directement à Mahajanga depuis Antsirabe – le grenier de Madagascar – tout transite par Antananarivo, ce qui s’explique par le manque de voies de circulation et l’état lamentable des routes. Comme à Tana, je remarque que l’activité principale des gens est le petit commerce, épiceries, quincailleries, fruits et légumes au marché de Mahabibo ou encore de Tsaramandroso par exemple. Les Sakalavas sont principalement des pêcheurs, ils partent en mer sur de simples pirogues, parfois pour plusieurs jours afin de rapporter une pêche de plus en plus maigre. Ne sachant pas nager, et leurs embarcations étant très précaires, à la coque de bois usée et la toile fatiguée, il arrive qu’ils ne reviennent pas. C’est une vie bien dure, faite au jour le jour.
Les seules personnes dont l’apparence dénote clairement une vie plus misérable encore sont les chauffeurs de pousse-pousse, et Hardy nous explique qu’en général, ces hommes viennent du Sud de Madagascar, ils travaillent dur et dorment dans la rue, dans leur pousse-pousse. Tout ce qu’ils gagnent, ils l’envoient à leur famille, jusqu’à ce qu’ils jugent le temps venu de rentrer chez eux. C’est que les traditions locales ne favorisent pas la prospérité au fil des générations. Dans le Sud de Madagascar, les gens sont des éleveurs de zébus, et leur richesse se mesure au nombre de bêtes qu’ils possèdent. La valeur d’un homme se mesure donc en zébus. Et lorsqu’un homme meurt, au lieu que ses biens soient transmis à ses survivants, femme ou enfants, permettant ainsi d’accroitre la richesse et le bien-être de la famille au fil des générations, toutes les bêtes sont abattues, sa maison est brûlée, tous ses biens sont détruits, et l’on a des statues de bois à tête de zébus que l’on appelle « alohalo » sur sa tombe. Il va sans dire que plus il y a d’alohalo, plus l’homme était important. Mais chaque fils doit repartir à zéro pour fonder une famille, et c’est un éternel recommencement.
Madagascar regorge de traditions et coutumes qui maintiennent dans la précarité la population. Je pourrai donner d’autres exemples pour d’autres régions que nous visiterons, mais pour cet article, j’aborderai simplement le sujet du « Fady”. Qu’est-ce qu’un fady? C’est un interdit qui repose justement sur des traditions, des coutumes qui remontent parfois si loin que les gens n’en connaissent plus la raison, mais qu’ils continuent à appliquer. Par exemple, chez les Sakalava, le porc, le crabe sont fady, interdiction d’en manger… Personnellement, je suppose que l’interdiction de consommer du porc vient du temps où les arabes étaient présents à Madagascar, vers le XIVe siècle, mais ni notre guide ni celui de notre visite au Lac Sacré n’ont pu nous en donner la raison. Les Sakalavas ne travaillent pas non-plus les mardis et jeudis, c’est fady. Vous rajoutez les weekends évidemment, et il ne reste pas beaucoup de jours pour gagner sa vie au final! Dans un pays aussi miséreux que Madagascar, on peut aisément imaginer que ce genre de traditions ne favorisent pas du tout le bien-être, l’essor de la population.
A l’autre extrême, il y a les Karanes, nom donné aux gens d’origine indienne, peu importe que leurs familles soient à Madagascar depuis plusieurs générations, ils sont une population à part. Souvent aisés mais pas toujours, voire riches, très riches même, ils tiennent les commerces importants dont les articles sont importés, les quincailleries principalement, ainsi que les matériaux de construction d’extérieur et d’intérieur. Même si les relations sont pacifiques avec les autres ethnies locales, ils ne font des affaires qu’entre eux, ne se marient et n’entretiennent des relations personnelles également qu’entre eux. Au fil du temps, ils ont su conserver des liens très étroits avec leurs familles et contacts en Inde, ce qui leur permet de jouer un rôle clé dans les importations et exportations entre les deux pays. Leurs commerces et bureaux se trouvent dans le quartier de Bazar Be, au centre ville. Pourtant, comme mentionné dans un précédent article, les bâtiments de Bazar Be sont assez vétustes et mal entretenus.
Les Chinois, j’en ai entendu parler, mais je ne les vois pas beaucoup. Ils sont néanmoins bien présents à Madagascar, et comme les Indiens, ils sont des liens étroits avec leur pays d’origine et leurs familles, ce qui leur permet de développer des relations commerciales d’import-export assez fructueuses. Ici, notamment à Mahajanga, ils ont le quasi monopole de la pêche à la crevette et aux crabes, ou encore de la pêche au gros. Outre les Sinoas, présents depuis plusieurs générations, le gouvernement chinois semble également porter un certain intérêt à Madagascar, sûrement pas pour le meilleur à mon avis.
Enfin, pour terminer, parlons de mes concitoyens… Ce n’est pas bien reluisant. Nous avons d’un côté les expatriés qui vivent dans leur bulle dorée une vie de millionnaires qu’ils ne pourraient pas se permettre en France, avec villas, domestiques pour faire le ménage et la lessive, la nounou pour s’occuper des enfants, le jardinier pour entretenir le jardin, le chauffeur pour conduire les enfants partout où ils veulent aller et madame à ses activités, et on rajoute bien sûr les gardiens pour se protéger. Je ne crois pas qu’ils connaissent Madagascar ou les Malgaches, ni qu’ils contribuent à l’expansion du pays. Ils vivent une vie similaire à la classe aisée des Malgaches en fait, et restent entre eux. De l’autre côté, nous avons les retraités, des hommes, vieux, laids et bedonnants, qui fréquentent les bars et restaurants tenus par les copains. Ils vivent à Madagascar une vie plus confortable que celle qu’ils pourraient avoir en France, et leur contribution se limite à entretenir de très jeunes femmes malagasy, parfois des jeunes filles, peut-être les familles de celles-ci, en échange de leur compagnie. J’ai vu plusieurs couples de la sorte à Mahajanga, mais c’est également très répandu ailleurs, car les Vazahas sont partout. Je ne sais pas ce que les Malgaches en pensent, j’ai beau observer les gens autour de moi lorsque nous croisons ce type de couple, j’ai l’impression d’être la seule à être choquée et à avoir honte, même si je ne dédouane en aucun cas la fille qui a fait ce choix. Entre les deux, des Zanatany évoqués plus hauts, ni malgaches ni français, dont le cœur et la vie appartiennent à l’île rouge, je n’en ai pas encore rencontré. Et puis enfin, il y a des touristes qui veulent découvrir ce pays, et des gens comme nous en quête d’une autre vie.