La route du Sud, entre Tuléar et Fort Dauphin

En réalité, il y a deux trajets possibles pour aller à Fort Dauphin en partant de Tuléar. On peut passer par l’extrême Sud, dans le Kere, sur une piste difficile traversant une région hostile frappée par la sécheresse et la famine depuis plusieurs années, en plus de subir les raids des voleurs de zébus/assassins, les Daholos. La côte est magnifique, semble-t-il, mais encore très sauvage; il n’y a rien, à part des villages d’éleveurs, aucune commodité, aucun service tout le long de la route, pas de station essence, pas de point de ravitaillement en eau, pas de restaurant, de très rares possibilités d’hébergement. C’est l’aventure. Comme nous n’envisageons pas de nous installer dans une région aussi inhospitalière, ce n’est pas cette route que nous avons choisie. Nous sommes passés par la route nationale 7, puis la 10, avant de finir par la 13, ce qui n’est pas de tout repos non-plus, avant d’arriver enfin à Fort Dauphin.

On commence par une route goudronnée mais déjà bien abîmée, sur laquelle on peut circuler presque à vitesse normale…pour Madagascar évidemment. Après 64 km, on arrive sur la route nationale 13, laquelle est en réalité une piste,  un simple chemin de 426 km plus ou moins large de terre battue dans le meilleur des cas, en alternance avec du sable ou des cailloux, sans oublier les trous et les suites de dos d’âne et de creux. Alors c’est tout, sauf une route nationale, enfin selon ma définition! Encadrée par des épineux, des cactus qui apportent une touche de couleurs grâce à leurs fruits, ponctuée de tombeaux et de très rares villages, on pourrait presque trouver la route monotone, mais nous sommes tellement secoués que nous sommes loin de nous endormir! Nous croisons peu de gens, en général à vélo, c’est plus facile de circuler sur ces routes difficiles, moyen de locomotion peu coûteux et facilement réparable. D’où viennent-ils et où vont-ils, par contre, difficile à dire car de la route, on ne voit presqu’aucun village. Sur ce chemin difficile, Il est impératif de partir tôt  afin de respecter les villes-étapes, (Ampanihy et Ambovombe) et d’arriver avant la nuit. Alors, on roule, il ne s’agit pas de prendre son temps.

À environ 110 km de Fort Dauphin, on se retrouve sur la route nationale 13, et ce n’est pas mieux que la route nationale 10. Moins de caillasses mais plus de montagnes russes, toujours en terre battue. Il ne faut pas avoir le mal de mer, car passée Amborombe, la route est une succession de creux et de bosses. Cependant, on change de paysage. On retrouve le vert éclatant des rizières, qui brillent dans la lumière du soleil. On retrouve les couleurs chaudes d’une région humide, riche en faune et flore, alors que pendant toute la traversée du pays d’Ouest en Est, les arbres séchés par la chaleur et la lumière intense du soleil, me paraissaient gris, et les cactus d’un vert terne. On sent qu’on retrouve la vie dès que l’on arrive dans les rizières car on croise beaucoup de gens, des agriculteurs avec leur bêche sur l’épaule, des femmes portant des paniers, des enfants sur le chemin de l’école, petits points de couleur dans un paysage à différentes nuances de vert.

Outre le changement flagrant de paysages que l’on peut observer entre Tuléar et Fort Dauphin, et la difficulté de circuler sur les routes de Madagascar, que l’on peut pleinement apprécier, ce qui frappe le plus, c’est donc la présence des tombeaux. Grande enceinte carrée ou rectangulaire de 5 à 10 m carrés, construites en dur – ciment ou pierres –  dont les murs sont soit décorés par des céramiques disposées de façon à former des motifs géométriques, soit peints par panneaux. Des cornes de zébus, en plus ou moins grand nombre, couronnent le tombeau. Les bêtes sont sacrifiées pour honorer le défunt. Les Anosy et plus encore les Antandroy, ethnies dont nous avons traversé le territoire, accordent une très grande place aux rituels funéraires, comme toutes les ethnies de Madagascar d’ailleurs, mais dans leur cas, nous avons pu voir la façon dont cela se matérialise. Et c’est d’autant plus surprenant, que les villages ne sont que des cases de pailles, de bambous, d’une pièce où toute la famille dort. Tous les autres aspects de la vie, la cuisine, la toilette, les besoins, la lessive, se font dehors. Nous parlons ici d’une population d’éleveurs, l’agriculture est quasi inexistante, tellement la région est hostile. La communauté rurale de Madagascar est majoritairement dite pauvre, alors la richesse de ces tombeaux questionne.

Ce qui m’interroge également est le côté supposément sacré de ces tombeaux. La décoration est plus souvent faite de panneaux peints que de céramiques. Un portrait du défunt figure parfois sur l’un des panneaux, avec les dates de naissance et de décès. Les autres représentations sont par contre pour le moins très surprenantes, et se retrouvent sur plusieurs tombeaux. On ne croirait jamais trouver ce genre de figurations sur des tombeaux, parmi une population de villageois, coupés de toute vie moderne. Et pourtant, Hollywood est au cœur du pays Antandroy : Rambo, Terminator, Elvis Presley, Spider Man, des scènes de vie moderne de la société occidentale, des femmes dénudées, des cowboys la cigarette à la bouche, des voitures de Formule 1! D’où viennent ces images? Les pauvres villageois vivant au milieu des cactus entourés de leurs zébus auraient-ils pourtant accès à Canal Sat?! Le fait est que même dans les villages de huttes en paille, on voit des antennes de télévision, mais encore faut-il être très proche des villes, ce qui n’est pas le cas des Antandroy. Je m’interroge également sur la signification de ces représentations pour les gens. Rambo torse-nu et la mitraillette à la main, une pin-up américaine des annees 50, un train, une scène de guérilla colombienne…tout cela ne confère pas un caractère très sacré au lieu, de mon point de vue de non-initiée à la culture antandroy, évidemment.

Ce qui surprend également, ce sont les dépenses engendrées par des gens supposément très pauvres, non seulement pour ériger ces tombeaux mais également pour respecter tout le rituel funéraire traditionnel. Une fois le décès annoncé, il faut attendre toutes les personnes souhaitant rendre hommage au défunt, ce qui se traduit par un déplacement familiale avec des offrandes en argent et en tête de zébus. On pourrait penser que ces cadeaux ont pour intention d’aider la famille endeuillée, cependant, il n’en est rien, car en plus de devoir nourrir et loger tout ce petit monde venu soi-disant soutenir les proches du défunt, tout ce qui est offert, doit entre rendu sous forme de cadeaux et d’argent. Nous sommes à Madagascar, les familles comptent des centaines de personnes, auxquelles il faut ajouter  les amis, et toute personne ayant connu un jour le défunt et souhaitant lui témoigner son respect. Les rites funéraires peuvent durer jusqu’à 1 mois, voir plus, selon la personne. Il s’agit la de la tradition antandroy, mais globalement, les rites funéraires pèsent énormément sur les vivants, que ce soit en terme de temps – car évidemment, il est hors de question d’aller travailler lorsqu’un décès survient, fusse-t-il celui de l’arrière grand-tante du côté de son grand-père que vous ne connaissez pas, en plus de devoir dépenser une grosse somme d’argent puisqu’il s’agit de démontrer son attachement et son respect pour le défunt, de faire étalage de ses possessions quitte à être ruiné par après, certains diraient. Ainsi, la richesse d’un Antandroy, tout comme celle d’un Salalava (pour ne parler que des ethnies que nous avons croisées) se mesure en têtes de zébus. Et donc, lors d’un décès, on sacrifiera toutes les bêtes du défunt, d’où les cornes décorant son tombeau, laissant ainsi sa descendance sans rien, en plus des dettes contractées pour célébrer les rituels funéraires.

Les traditions, pèsent un poids très lourd sur la société malgache et l’empêchent de se développer. Certains Malgaches le pensent, mais n’osent pas encore s’élever ouvertement contre des façons de faire ou d’être qu’ils jugent pourtant barbares, arriérés, néfastes. Ici, comme ailleurs, dès que l’excuse de la culture ou de religion est brandie, remettre en question les traditions est impossible.

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