Tous les Malgaches que j’ai rencontrés m’ont dit que j’allais très vite parler malgache, car c’est une langue très facile… Je ne sais pas d’où leur vient cette idée car c’est loin d’être le cas ! Le français, l’anglais, l’allemand, l’espagnol  pour ne citer que ces langues appartiennent toutes à la famille des langues indo-européennes, alors que le malgache fait partie de la famille des langues austronésiennes, langues parlées principalement dans les îles du Pacifique. Elles sont donc radicalement différentes, et depuis que je prends des cours, cela ne devient que plus évident.

À l’oreille, d’abord, c’est une langue assez chantante, dans laquelle on entend majoritairement  la lettre « n » et des voyelles, comme dans « Manao ahoana »  (bonjour) par exemple, ou « mihinana » (manger). Les mots sont incroyablement longs comme « mitsanganstangana » (se promener), « miainginaingina » (être perché, monter sur une hauteur), mpampianatra (enseignant) ! Tout comme les noms de famille d’ailleurs Rakotoarimanana, Razafimahatratra, Andrianantenaina ! Le président actuel se nomme  Andry Rajoelina, mais  son prédécesseur s’appelait Hery Martial Rakotoarimanana Rajonarimampianina. Ah oui, la consonne « R » est certainement la 2e lettre la plus utilisée en langue malagasy ! Je passe sur les syllabes entières qui sont écrites et ne se prononcent pas. Les mots se ressemblent tous pour moi, je n’entends que des « na, ni, no, ro, ri » dans cette langue : manana (avoir), manina (grave), tanana ( main/ville). Je ne compte pas le nombre de fois où j’ai répondu à une personne qui mendiait dans la rue :

« Tsy manina (Ce n’est pas grave) » au lieu de « Tsy manana » (Je n’ai rien) !

Ou encore au marché, quand j’ai demandé au marchand de fruits et légumes des « Akanjo » (habits), au lieu de « Akondro » (bananes) !

Ensuite, si l’on regarde la conjugaison, la langue malagasy semble également relativement accessible car  il n’y a pas de modes et seulement trois temps de conjugaison, les Malgaches n’utilisent que les notions de présent, passé et futur, sans autre nuance.  Il n’y a pas non-plus de terminaison qui diffère selon la personne. Sauf que non, ce n’est pas si simple ! D’abord parce que la différence se joue sur  la première lettre du verbe, prenons le verbe travailler : Miasa (Pr) – Niasa (Passé) – Hiasa (Futur) et à l’oreille, ce n’est pas évident. Ensuite parce que les Malgaches parlent majoritairement au mode  passif. Dans leur façon de donner les informations, de penser une action, un évènement, ce n’est pas le sujet qui compte mais l’objet, ce qui fait que le discours est presque toujours construit avec des phrases « à l’envers », semble-t-il. Alors, d’accord, on peut accepter ça, le mode passif existe en français c’est une petite gymnastique de l’esprit à laquelle il suffit de s’adapter, diriez-vous… En fait, c’est à partir de là que les choses se compliquent sérieusement, il y a non pas une mais quatre formes passives, en plus de la forme active. Toutes les formes du verbe sont construites à partir d’une racine à laquelle on ajoute différents préfixes selon le mode auquel on veut s’exprimer, et selon que l’on veut mettre l’emphase sur une situation à faire, en cours d’accomplissement, ou déjà faite, mais ces trois notions  peuvent s’exprimer dans les temps passé, présent ou futur… et tous les verbes n’ont pas nécessairement toutes les formes passives.  Pour résumer la complexité de la chose en une phrase, il ne s’agit pas d’apprendre comment former un temps et de l’appliquer à tous les verbes, il faut apprendre la racine de chaque verbe pour ensuite appliquer ou reconnaître chaque forme. Bref, je me promène avec mon dictionnaire et mon petit carnet de notes pour essayer de m’y retrouver.

Quant à la structure de la phrase, cela ne peut pas être simple non-plus ! Le sujet se met souvent à la fin de la phrase mais pas toujours, selon que l’on ajoute des compléments circonstanciels et le type. D’ailleurs, il semble qu’il me reste un gros morceau grammatical à découvrir à ce sujet, même si je sais déjà utiliser les notions de temps et de lieu. Les pronoms sujets ne sont utilisés qu’à la forme active, parce que l’on utilise en réalité les pronoms COD que l’on ajoute à la fin des verbes pour parler à la voix passive ; ces pronoms sont les mêmes que les pronoms possessifs. Par exemple, « Tiako ny vadiko » / Mon mari est aimé de moi, ou en bon français, « J’aime mon mari ». La plupart des prépositions portent les marques du passé ou du futur, et surtout ma règle préférée, la préposition de lieu change selon que le locuteur se trouve ou non dans un endroit, et que cet endroit est ouvert ou fermé, proche ou loin ! Par exemple: « Tonga tany Canada izahay mba hipetraka eto Madagasikara, nefa mipetraka ato amin’ny trano ny rafozako izahay izao ».  Nous sommes arrivés du Canada afin d’habiter à Madagascar, mais nous habitons chez mes beaux-parents pour le moment. C’est dire si je parle de façon très spontanée ! Je prépare ma phrase dans ma tête avant de parler et ça, c’est juste pour commencer la conversation…parce qu’après, je n’arrive plus à suivre.

La cerise sur le gâteau, c’est quand même que je me casse la tête pour apprendre les rudiments de cette langue, mais le malagasy tel qu’il m’est enseigné est uniquement parlé dans la province d’Antananarivo ! Chaque province a son dialecte, et si les gens des côtes on va dire, peuvent comprendre le malgache officiel, ils ne le parlent pas … Je ne m’en sors déjà pas avec le Malagasy officiel, alors vous pensez, s’il faut en plus se mettre aux dialectes ! Les gens de Tana sont d’ailleurs dans la même situation, c’est dire le fossé qui existe entre les différentes langues parlées à Madagascar.

Evidemment, je persévère et je ne perds pas une occasion d’utiliser ce que je sais dire, même si ce n’est pas toujours correct. Les gens sont parfois surpris, ils ne s’attendent pas à ce que je parle malagasy, car il semble que la plupart des étrangers fassent peu d’efforts dans ce sens en général, étant donné que beaucoup de Malgaches parlent français, de par le passé colonial de l’île. La langue française est utilisée partout, dans les administrations, dans les écoles, et dans les grandes entreprises. Ce sera peut-être moins le cas en quittant Antananarivo, mais il faut bien dire que pour l’instant, cette ambiance très francophone n’aide pas  à pratiquer la langue.

Cela prend beaucoup de temps de parler une langue autre que la sienne, car il ne s’agit pas seulement d’apprendre des mots, mais de comprendre comment l’autre organise sa pensée, comment il perçoit le monde et quelle place il se donne à lui-même, et à ce qui l’entoure. Par exemple, la langue malagasy comme nombre de langues austronésiennes ou de langues anciennes même, a une façon  primaire d’aborder l’environnement dans le sens où un mot n’est pas abstrait mais décrit littéralement la chose, l’objet, l’action.  Le soleil se dit « Masoandro », ce qui signifie, l’œil du jour ; bonbon se dit « vatomamy », littéralement caillou sucré ; un film se dit « sarimihetsika », photographie qui bouge. En ce sens, je trouve que le malagasy a une approche plus concrète de la réalité.  Il faut également rappeler que les arabes ont été présents sur l’île jusque vers le XVIe siècle, cela se retrouve entre autres dans le vocabulaire des jours de la semaine  – Alatsinainy · Talata · Alarobia · Alakamisy · Zoma · Sabotsy · Alahady, tandis que les anglais d’abord, puis ensuite les français ont occupé l’île au XIXe et au XXe siècles . De nombreux mots viennent donc du français, adaptés à une prononciation malgache : cheval/soavaly ; clef/lakile ; du beurre/duberra ; courgette/korgety ; police/polisy .  Je trouve ce dernier mot particulièrement intéressant car chez les peuplades autochtones de Nouvelle Zélande, chez les tribus indiennes d’Amérique du nord, et chez les Malgaches  pour ne citer qu’eux, la notion de police, et donc de prison, d’enfermement physique, est arrivée avec les Européens…comme cette pratique n’existait pas, il n’y avait pas de mot pour le dire et il a bien fallu l’emprunter à la langue du colonisateur, qui l’a introduite.

Apprendre à parler une langue, c’est donc s’ouvrir à une autre culture, la comprendre, et l’accepter, dans une certaine mesure, on peut même parfois l’adopter si un rapport affectif se développe, et s’exprimer dans une langue étrangère devient alors aussi naturel que de s’exprimer dans sa langue maternelle. Pour le moment, après plus de trois mois passés à Antananarivo, je dois dire que je n’ai qu’une approche utilitaire de la langue malagasy, mais on verra avec le temps.

Veloma, (au revoir)

Amin’ny manaraka (à la prochaine)

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