Il n’y a pas de librairie à Diego Suarez !
Diego Suarez, aussi connue sous son nom malgache, Antsiranana, est la capitale de la région DIANA (Diego I et II, Ambilobe, Nosy Be, et Ambanja), la perle du Nord de Madagascar, forte de 110 000 habitants, elle aurait pu voler le statut de capitale à Antananarivo si l’histoire n’avait pas favorisé les Merina de Tana au détriment des Sakalava. Pourtant, il n’y a aucune librairie!
C’était peut-être aussi le cas dans les autres endroits importants où nous sommes passés, tels que Mahajanga et Nosy Be, je n’en sais rien, mais comme je n’avais pas besoin d’acheter de livres, je ne me suis pas posé la question. Cependant, arrivée à Diego, 2e ville du pays quand même, un centre administratif, des magasins, un très grand marché, une alliance française, un collège français, une vie culturelle avec des expositions, des concerts, des festivals, une architecture où l’on devine encore un passé colonial florissant, une belle route pour y arriver – depuis Ambanja du moins parce que la route Antsohihy/Ambanja, justement, n’est pas une route, c’est une piste ponctuée de trous et de gadoue – et il est impossible de trouver un seul endroit où acheter des livres pour satisfaire tous ces gens assoiffés de culture , pourrait-on penser, à Diego Suarez!
De nombreux trésors naturels de Madagascar se trouvent dans cette région : tout l’archipel de Nosy Be, les Tsingy rouges, le parc de l’Ankarana, la montagne d’Ambre, la mer d’Emeraude, la Baie des Sakalava, les plantations de vanille, de cacao, d’arbres à épices, etc. C’est une région riche, qui vit du tourisme, et des exportations de ses denrées. En parcourant tout le chemin que nous avons fait, on ne peut que s’émerveiller devant une nature généreuse et variée; on traverse parfois une flore verdoyante, abondante et dense, cocotiers, ravinala, manguiers, arbres à pain, ylanguiers, arbres à cacao dont certains sont gigantesques, tandis qu’ailleurs, on traverse des zones désertes : quelques arbres courbés par le vent au milieu de plaines sèches et maigres, avec toujours les montagnes qui se dessinent au loin. Et pas le moindre petit bouquiniste dans sa ville principale du Nord pour évoquer toutes ces merveilles.
Sa population est hétéroclite, comprenant des Sakalava, des Betsimisaraka, des Antandroy, des Merina, des Comoriens, des descendants arabes qui se fondent parmi les ethnies malgaches, des Français, et une communauté d’origine chinoise très importante, principalement impliquée dans le commerce de la vanille. Son histoire est riche, d’abord avec les rois Sakalava qui ont lutté contre les Merinas. Ce fut également une ville pionnière en matière d’abolition de l’esclavage puisque c’est sur ses côtes que le pirate français Misson, aidé du père dominicain Caraccioli, fonde la République éphémère de Libertalia, à la fin du XVIIe siècle, afin que personnes de couleurs et personnes blanches puissent vivre sur un pied d’égalité, en parfaite harmonie. Malheureusement, les Malgaches mirent un terme à cette belle entreprise en détruisant tout en 1730. Puis les Français choisirent de s’y implanter au XIXe siècle, en fondant une importante base navale abritant plus de 2000 soldats et leurs familles. Cette ville a été transformée en l’un des plus importantes chantiers de réparation navale de l’océan indien, tandis que l’espace urbain a été déplacé dans la baie, où la ville de Diego actuelle s’est développée. Les Français ont officiellement quitté Diego Suarez à l’indépendance de Madagascar, mais l’on y trouve toujours la Montagne des Français, ainsi que le Cimetière militaire français, rappelant que les Malgaches et les résistants français se sont battus contre le gouvernement de Vichy et le nazisme. Une histoire si riche, et cette ville n’a pas une seule librairie pour la raconter ???
La ville de Diego est longtemps restée enclavée, isolée à cause du manque de routes praticables. Grâce à son aéroport, elle a malgré tout pu connaître un certain développement, et attiré autant les Malgaches que les populations des îles de l’Océan indien, et de pays plus lointains pour le tourisme, les affaires et les études. C’est un port important, doté d’un chantier naval, et la ville jouit également d’un pôle industriel développé grâce à ses marais salants, la pêche au thon et l’énergie éolienne. Le commerce du katy (khat), une plante que les gens mâchent pour planer, une sorte de psychotrope, est tellement fructueux que sa culture a remplacé celle des légumes et des fruits, si bien que Diego est maintenant obligée d’exporter de Tana ce qu’elle produisait par elle-même pour se nourrir ! Ce sont essentiellement les Karana (descendants des Indiens) qui tiennent ce commerce, et malheureusement, étant donnée qu’il n’existe aucune réglementation, l’appât du gain et le profit d’individus prennent le pas sur le bien-être commun. On voit beaucoup de gens se promener avec leur petit rameau de katy à la main, comme un bouquet de fleurs, sans les couleurs… Ils ont une joue énorme, comme un hamster, tellement ils n’arrêtent pas de se fourrer des feuilles dans la bouche, melangées à du chewing-gum ! (Nous avons eu l’occasion de goûter et je peux vous dire que le chewing-gum est indispensable, tellement les feuilles sont amères, en plus de s’en mettre plein les dents évidemment). Et au milieu de toutes ces activités économiques dont certaines sont discutables, une librairie, une toute petite librairie, ne semble pas du tout indispensable dans la ville de Diego Suarez !
Si je ne devais citer qu’une seule raison pour ne pas retenir cette ville pour nos projets futurs, l’absence de librairie en serait une excellente.